dimanche 14 octobre 2012

Rencontre avec Monsieur Pitche.


En entrant dans le local des archives, je découvre adossé à un meuble un drôle de petit bonhomme mélancolique. C'est un tout petit bonhomme affublé d'un gros nez en forme de sabot, arborant une petite moustache noire carrée et, de surcroît, chauve. Il porte un costume noir étriqué et un chapeau melon de même couleur. Bref, une sorte de Charlot en miniature.
-J'ai cru que vous n'alliez jamais me voir, me dit-il avec tristesse. Tous ceux que j'aime m'ont abandonné et vous même m'avez laissé à ma solitude dans vos rayons. Ah ! je suis bien malheureux, vous savez !
-J'ai bien lu quelques unes de vos aventures sur « Le Foyer du Bocage », mais je dois vous avouer que nous avons tant de célébrité oubliées dans notre ville, que je vous ai un peu négligé!
-Bast ! J'ai l'habitude ! Je suis si petit que beaucoup m'ignore.
Mais cet conversation ne pouvait se poursuivre dans le local des archives. J'invite Pitche à descendre à la médiathèque beaucoup plus accueillante. Pitche me regarde avec des yeux désolés.
-Vous êtes bien gentil, mais je n'aime pas la foule. Nous serons mieux sur un banc de votre petit parc, c'est un petit coin tranquille pour deviser.
Et c'est ainsi que pour ne pas déplaire à Pitche, je m'installe avec lui sur un banc non loin du pommier. Dans cette atmosphère calme, Pitche semble surtout disposé à me confier ses peines sentimentales qu'autre chose. Il semble tellement souffrir de sa solitude qu'il me donnerait envie de pleurer. Mais je n'oublie pas ma mission et j'interroge Pitche.

-Mon cher Monsieur Pitche, vous savez qu'autre fois les lecteurs vous connaissaient bien et vous aimaient beaucoup. Mais même ceux qui ont eu le bonheur de vous suivre les jeudis sur Ouest-Éclair à partir de 1932 ou, après-guerre dans « Le Foyer du Bocage », ignorent encore tout de vous et de votre créateur.
-Pour sur gamin que j'suis tombé dans l'oubli. Il semblerait que je suis remplacé dans le cœur des gens par un chat.
-Allons, pas de vains ressentiments monsieur Pitche ! Parlons donc plutôt de vous.
-Soit... Mais quand même, un chat qui parle !... Bon, j'ai vu le jour dans les années 1930 dans la presse Belge, sous le nom de Pietje. C'est sous la plume d'Alek Stonkus que l'on pouvait suivre quotidiennement, en trois cases, mes aventures ou, plus précisément, mes mésaventures.
-A propos de votre nom...
-Mon nom est d'origine flamande. Il signifie tout simplement « petit Pierre »... allusion à ma petite taille.
-Ce qui frappe, depuis que j'ai le bonheur de vous connaitre, c'est le sentiment de solitude que vous dégagez.
-Cela vient probablement du fait que mon père était un réfugié lituanien et qu'il a eu des difficultés pour s'insérer chez vous. Il a apparemment reporté cela sur moi.


-Votre père, Stonkus, vous a conçu comme un petit homme drôle, à la fois humain et touchant. Vous êtes un personnage qui a une âme, qui a des passions, des colères, des envies incontrôlées et même des petites lâchetés. Vous faites les pires espiègleries et pourtant on devine parfois des sentiments d'angoisse ou de tristesse infinie à travers les nombreuses péripéties que vous avez vécu.
-Que vous dire ? Mon père disait lui-même de moi : « Je fais agir mon héros comme un authentique être humain, si par exemple j'ai besoin de mettre Pitche en lutte avec une feuille de papier collant et montrer ses efforts surhumains pour s'en dépêtrer, je fais d'abord une petite expérience sur moi-même afin de bien me rendre compte. En un mot, je vis avec le personnage que je dessine, je partage ses peines et ses douleurs et je l'aime comme un enfant. »
-Mon cher Monsieur Pitche, vous parlez beaucoup de votre père. Parlez nous de lui.
-De mon père ? Vous voulez que je parle de mon père ?
-Oui, c'est cela.
-Par ou commencer... Mis à part le fait qu'il s'appelait Aleksas Stonkus et qu'il était Lituanien, on ignore où et quand il est né exactement. Physiquement, il ne ressemblait pas, Oh! mais pas du tout ! Par contre, si vous aviez pu le regarder vivre, vous auriez été saisi de retrouver chez lui les mêmes gestes, les mêmes réflexes que moi, de toute cette mimique expressive qui plaisait tant aux lecteurs. Il est dommage que vous ne sachiez presque rien sur mon père dont l'importance a été fondamentale dans la bande dessiné : il a été le premier auteur européen à être diffusé quotidiennement dans la presse française et belge. Sa virtuosité été alors la seule à pouvoir égaler celle des américains diffusés par Opera Mundi. Ce challenge, il le releva au fil des vingt années de parution. Il avait réussi à me faire aimer par des milliers de lecteurs. Nombreux sont ceux qui ont découper dans leur journal favori ces bandeaux dessinés pour les conserver et faire leur propre album. Je dois encore trainer, coller sur des cahiers d'écolier, dans de sombres greniers.
-Il a donc connu la célébrité !


-Oh que non ! Il vivait tout seul. Il n'avait pas de plus grand plaisir que de faire lui-même sa cuisine. Il confectionnait des plats de légumes et de céréales qui était de vrais régals, mais laissait brûler quand l'inspiration lui venait. Il ne fumait pas et ne buvait pas d'alcool. Il aimait la propreté dans sa maison mais été extrêmement oublieux de lui-même. Il était rare de le voir rasé de près d'ailleurs, il se faisait ordinairement la barbe avec une tondeuse. Il était généreux avec ses amis, mais si un jour ceux-ci le contrariaient d'une quelconque façon, pour rien au monde, il n'aurait voulu les revoir. Il n'aimait ni écrire, ni parler. Paradoxalement, il pouvait être d'une éloquence rare et pouvait prendre un parti qui ne concordait nullement avec ses opinions, uniquement pour le plaisir de discuter. Il était si persuasif, que non seulement il parvenait à convaincre son interlocuteur, mais bien souvent à se convaincre lui-même !
-Il vivait chichement ?
-Non, mais il avait mangé tant de vache enragée  que ça l'avait rendu économe. Quand il achetait des disques de phonographe et les écoutait aux heures les plus indues, au grand désespoir de ses voisins, dès qu'un disque avait cessé de lui plaire, il l'astiquait pour lui rendre l'apparence du neuf, il le remettait dans son étui, emballait le tout convenablement et s'en allait chez un ami apporter le disque en cadeau.
-Il était avare quoi !
-Économe mais pas avare ! Il n’achetait jamais de meubles tout faits. Mais il les commandait chez un menuisier, d'après ses plans, et il les peignait lui-même : bleu pale pour sa cuisine, jaune-orange pour sa chambre à coucher et vert d'eau pour son atelier.
-Pour dessiner vos aventures, il passait du temps devant la page blanche ?
-Il se couchait de bonne heure et se levait toujours très tôt. La nuit, il lui arrivait de s'éveiller brusquement, en pensant à une idée pour mes aventures. Il se levait, jetait à la hâte quelques notes sur un calepin, et il se promenait en chemise de long en large dans sa chambre, en chantant au risque d'éveiller les voisins.
-Il était donc heureux !
-On pouvait le croire heureux d'être au monde et d'y voir clair. Mais, à certaines heures, ses yeux reflétaient une profonde tristesse, comme la nostalgie d'une contrée lointaine. Au reste, il ne disait jamais exactement de quel pays il venait et restait vague sur son âge et il ne se plaisait jamais longtemps dans un même endroit. Il déménageait souvent. Avant-guerre, alors qu'il était publié en Vendée, Bretagne et Normandie, il habitait à Nice, dans une boutique neuve qu'il avait aménagée à sa façon, afin d'être tranquille.
-C'était votre seule famille ?
-Non, j'ai de vagues cousins, des pièces rapportées ! En 1932, Nimbus est apparu, professeur je crois. Mais, si avant guerre il a tenté d'égaler mon succès, son père, André Daix, a du quitter précipitamment la France pour avoir fournit à « Jeune Force », journal d'un mouvement de jeunesse maréchaliste, une bande dessinée. Accusé de collaboration, Daix a arrêté la bande dessinée et s'est enfuit au Portugal, puis en Amérique latine. Le pauvre Nimbus. Il a été adopté Léon de Enden pendant les années 1950 et 1960, avant d'être repris par l'Américain Opera Mundi dans les années 1970-1980 par d'autres auteurs.... Il y a aussi mon cousin normand, Poustiquet, né en 1949 par le dessinateur Bindle. Il apparaissait principalement dans le journal Paris-Normandie.
-Et vous Pitche, quand êtes vous venus à Condé-sur-Noireau ?
 

-Vers 1947 ou 48, de façon épisodique, puis régulièrement. Pierre de Crisemoy, le directeur du Foyer du Bocage aimait bien mon allure. Votre ville était en pleine reconstruction et la population connaissait bien des malheurs. Alors l’arrivée d'un petit homme désargenté et rarement chanceux, a plu au Condéens. Parents et enfants aimaient mon côté dérisoire et burlesque qui se cachait dans chaque situation, chaque évènement, chaque histoire. Je leur prouvais que l'on pouvait être drôle même lorsqu'on avait des difficultés. Bref, sans fausse modestie, je peux dire que les Condéens ont aimé mon côté (extrêmement) attachant ! Petits et grands riaient de mes déconvenues et de mes faiblesses. Ne comportant que quelques images seulement, mes historiettes humoristiques faisait partager à mes lecteurs un moment de gaité, de tendresse ou de commisération.
-Vous avez donc quittez Condé à la disparition du journal en 1952?
-Malheureusement non ! J'ai disparu en 1950, peu de temps avant la disparition de mon père. Même moi j'ignore où il est décédé et s'il est bien décédé en 1950.Mais par la suite, les Condéens ont découvert La Noireaude dans les journaux publiés par monsieur Corlet.
-Il paraît... Mais je ne l'ai pas encore rencontrée !
-Dommage, elle vous plairait certainement.