dimanche 14 octobre 2012

Rencontre avec Monsieur Pitche.


En entrant dans le local des archives, je découvre adossé à un meuble un drôle de petit bonhomme mélancolique. C'est un tout petit bonhomme affublé d'un gros nez en forme de sabot, arborant une petite moustache noire carrée et, de surcroît, chauve. Il porte un costume noir étriqué et un chapeau melon de même couleur. Bref, une sorte de Charlot en miniature.
-J'ai cru que vous n'alliez jamais me voir, me dit-il avec tristesse. Tous ceux que j'aime m'ont abandonné et vous même m'avez laissé à ma solitude dans vos rayons. Ah ! je suis bien malheureux, vous savez !
-J'ai bien lu quelques unes de vos aventures sur « Le Foyer du Bocage », mais je dois vous avouer que nous avons tant de célébrité oubliées dans notre ville, que je vous ai un peu négligé!
-Bast ! J'ai l'habitude ! Je suis si petit que beaucoup m'ignore.
Mais cet conversation ne pouvait se poursuivre dans le local des archives. J'invite Pitche à descendre à la médiathèque beaucoup plus accueillante. Pitche me regarde avec des yeux désolés.
-Vous êtes bien gentil, mais je n'aime pas la foule. Nous serons mieux sur un banc de votre petit parc, c'est un petit coin tranquille pour deviser.
Et c'est ainsi que pour ne pas déplaire à Pitche, je m'installe avec lui sur un banc non loin du pommier. Dans cette atmosphère calme, Pitche semble surtout disposé à me confier ses peines sentimentales qu'autre chose. Il semble tellement souffrir de sa solitude qu'il me donnerait envie de pleurer. Mais je n'oublie pas ma mission et j'interroge Pitche.

-Mon cher Monsieur Pitche, vous savez qu'autre fois les lecteurs vous connaissaient bien et vous aimaient beaucoup. Mais même ceux qui ont eu le bonheur de vous suivre les jeudis sur Ouest-Éclair à partir de 1932 ou, après-guerre dans « Le Foyer du Bocage », ignorent encore tout de vous et de votre créateur.
-Pour sur gamin que j'suis tombé dans l'oubli. Il semblerait que je suis remplacé dans le cœur des gens par un chat.
-Allons, pas de vains ressentiments monsieur Pitche ! Parlons donc plutôt de vous.
-Soit... Mais quand même, un chat qui parle !... Bon, j'ai vu le jour dans les années 1930 dans la presse Belge, sous le nom de Pietje. C'est sous la plume d'Alek Stonkus que l'on pouvait suivre quotidiennement, en trois cases, mes aventures ou, plus précisément, mes mésaventures.
-A propos de votre nom...
-Mon nom est d'origine flamande. Il signifie tout simplement « petit Pierre »... allusion à ma petite taille.
-Ce qui frappe, depuis que j'ai le bonheur de vous connaitre, c'est le sentiment de solitude que vous dégagez.
-Cela vient probablement du fait que mon père était un réfugié lituanien et qu'il a eu des difficultés pour s'insérer chez vous. Il a apparemment reporté cela sur moi.


-Votre père, Stonkus, vous a conçu comme un petit homme drôle, à la fois humain et touchant. Vous êtes un personnage qui a une âme, qui a des passions, des colères, des envies incontrôlées et même des petites lâchetés. Vous faites les pires espiègleries et pourtant on devine parfois des sentiments d'angoisse ou de tristesse infinie à travers les nombreuses péripéties que vous avez vécu.
-Que vous dire ? Mon père disait lui-même de moi : « Je fais agir mon héros comme un authentique être humain, si par exemple j'ai besoin de mettre Pitche en lutte avec une feuille de papier collant et montrer ses efforts surhumains pour s'en dépêtrer, je fais d'abord une petite expérience sur moi-même afin de bien me rendre compte. En un mot, je vis avec le personnage que je dessine, je partage ses peines et ses douleurs et je l'aime comme un enfant. »
-Mon cher Monsieur Pitche, vous parlez beaucoup de votre père. Parlez nous de lui.
-De mon père ? Vous voulez que je parle de mon père ?
-Oui, c'est cela.
-Par ou commencer... Mis à part le fait qu'il s'appelait Aleksas Stonkus et qu'il était Lituanien, on ignore où et quand il est né exactement. Physiquement, il ne ressemblait pas, Oh! mais pas du tout ! Par contre, si vous aviez pu le regarder vivre, vous auriez été saisi de retrouver chez lui les mêmes gestes, les mêmes réflexes que moi, de toute cette mimique expressive qui plaisait tant aux lecteurs. Il est dommage que vous ne sachiez presque rien sur mon père dont l'importance a été fondamentale dans la bande dessiné : il a été le premier auteur européen à être diffusé quotidiennement dans la presse française et belge. Sa virtuosité été alors la seule à pouvoir égaler celle des américains diffusés par Opera Mundi. Ce challenge, il le releva au fil des vingt années de parution. Il avait réussi à me faire aimer par des milliers de lecteurs. Nombreux sont ceux qui ont découper dans leur journal favori ces bandeaux dessinés pour les conserver et faire leur propre album. Je dois encore trainer, coller sur des cahiers d'écolier, dans de sombres greniers.
-Il a donc connu la célébrité !


-Oh que non ! Il vivait tout seul. Il n'avait pas de plus grand plaisir que de faire lui-même sa cuisine. Il confectionnait des plats de légumes et de céréales qui était de vrais régals, mais laissait brûler quand l'inspiration lui venait. Il ne fumait pas et ne buvait pas d'alcool. Il aimait la propreté dans sa maison mais été extrêmement oublieux de lui-même. Il était rare de le voir rasé de près d'ailleurs, il se faisait ordinairement la barbe avec une tondeuse. Il était généreux avec ses amis, mais si un jour ceux-ci le contrariaient d'une quelconque façon, pour rien au monde, il n'aurait voulu les revoir. Il n'aimait ni écrire, ni parler. Paradoxalement, il pouvait être d'une éloquence rare et pouvait prendre un parti qui ne concordait nullement avec ses opinions, uniquement pour le plaisir de discuter. Il était si persuasif, que non seulement il parvenait à convaincre son interlocuteur, mais bien souvent à se convaincre lui-même !
-Il vivait chichement ?
-Non, mais il avait mangé tant de vache enragée  que ça l'avait rendu économe. Quand il achetait des disques de phonographe et les écoutait aux heures les plus indues, au grand désespoir de ses voisins, dès qu'un disque avait cessé de lui plaire, il l'astiquait pour lui rendre l'apparence du neuf, il le remettait dans son étui, emballait le tout convenablement et s'en allait chez un ami apporter le disque en cadeau.
-Il était avare quoi !
-Économe mais pas avare ! Il n’achetait jamais de meubles tout faits. Mais il les commandait chez un menuisier, d'après ses plans, et il les peignait lui-même : bleu pale pour sa cuisine, jaune-orange pour sa chambre à coucher et vert d'eau pour son atelier.
-Pour dessiner vos aventures, il passait du temps devant la page blanche ?
-Il se couchait de bonne heure et se levait toujours très tôt. La nuit, il lui arrivait de s'éveiller brusquement, en pensant à une idée pour mes aventures. Il se levait, jetait à la hâte quelques notes sur un calepin, et il se promenait en chemise de long en large dans sa chambre, en chantant au risque d'éveiller les voisins.
-Il était donc heureux !
-On pouvait le croire heureux d'être au monde et d'y voir clair. Mais, à certaines heures, ses yeux reflétaient une profonde tristesse, comme la nostalgie d'une contrée lointaine. Au reste, il ne disait jamais exactement de quel pays il venait et restait vague sur son âge et il ne se plaisait jamais longtemps dans un même endroit. Il déménageait souvent. Avant-guerre, alors qu'il était publié en Vendée, Bretagne et Normandie, il habitait à Nice, dans une boutique neuve qu'il avait aménagée à sa façon, afin d'être tranquille.
-C'était votre seule famille ?
-Non, j'ai de vagues cousins, des pièces rapportées ! En 1932, Nimbus est apparu, professeur je crois. Mais, si avant guerre il a tenté d'égaler mon succès, son père, André Daix, a du quitter précipitamment la France pour avoir fournit à « Jeune Force », journal d'un mouvement de jeunesse maréchaliste, une bande dessinée. Accusé de collaboration, Daix a arrêté la bande dessinée et s'est enfuit au Portugal, puis en Amérique latine. Le pauvre Nimbus. Il a été adopté Léon de Enden pendant les années 1950 et 1960, avant d'être repris par l'Américain Opera Mundi dans les années 1970-1980 par d'autres auteurs.... Il y a aussi mon cousin normand, Poustiquet, né en 1949 par le dessinateur Bindle. Il apparaissait principalement dans le journal Paris-Normandie.
-Et vous Pitche, quand êtes vous venus à Condé-sur-Noireau ?
 

-Vers 1947 ou 48, de façon épisodique, puis régulièrement. Pierre de Crisemoy, le directeur du Foyer du Bocage aimait bien mon allure. Votre ville était en pleine reconstruction et la population connaissait bien des malheurs. Alors l’arrivée d'un petit homme désargenté et rarement chanceux, a plu au Condéens. Parents et enfants aimaient mon côté dérisoire et burlesque qui se cachait dans chaque situation, chaque évènement, chaque histoire. Je leur prouvais que l'on pouvait être drôle même lorsqu'on avait des difficultés. Bref, sans fausse modestie, je peux dire que les Condéens ont aimé mon côté (extrêmement) attachant ! Petits et grands riaient de mes déconvenues et de mes faiblesses. Ne comportant que quelques images seulement, mes historiettes humoristiques faisait partager à mes lecteurs un moment de gaité, de tendresse ou de commisération.
-Vous avez donc quittez Condé à la disparition du journal en 1952?
-Malheureusement non ! J'ai disparu en 1950, peu de temps avant la disparition de mon père. Même moi j'ignore où il est décédé et s'il est bien décédé en 1950.Mais par la suite, les Condéens ont découvert La Noireaude dans les journaux publiés par monsieur Corlet.
-Il paraît... Mais je ne l'ai pas encore rencontrée !
-Dommage, elle vous plairait certainement.
 

 

 
 
 

 
 
 
 

 
 


lundi 24 septembre 2012

Le funambule roulant.
Source principale : « Les cascades d'une vie », Moustache, 2007.
 
 
 
 
 

Les moins de 20 ans connaissent probablement le funambule roulant grâce aux multidiffusions de Fantomas où l'on voit Sunny doubler Jean Marais au volant d'une Présidence, sur deux roues et sans freins. Mais beaucoup, quelque soit leur âge, ignorent que la carrière de ce cascadeur a pris de l’ampleur grâce à son passage à Condé.
 
 
 
En effet, Jean Moussali, fils de dentiste, s'installe en 1950, avec sa famille, à l’Absie (Deux-Sèvres). Jean, son épouse et son frère se lancent dans la bonneterie. En 1954, il assiste à une représentation de « l’Hollywood Auto Rodéo », spectacle de cascades automobiles bon enfant : dérapages, conduite en zig-zag, évitements. Il se dit qu'il serait capable d’en faire autant et même faire mieux que cela! Avec sa voiture personnelle, une Aronde Simca, il s’entraine sur un vélodrome désaffecté et devient le premier en Europe à rouler sur deux roues grâce à un de ses bricolages qui consiste à, d'une part bloquer le différentiel et d'autre part à surgonfler les pneus. Parvenu à ce qu'il espérait, il fonde « l’Europe Auto-rodéo » et donne son premier spectacle : la légende Jean Sunny est né.
Rapidement, Sunny se rend compte que, pour que son spectacle soit rentable (même les épaves de voitures ont un prix !), il doit se faire parrainer (sponsoriser n'était pas encore un mot en usage) par sa marque fétiche : Simca.
Au début de sa tournée 59, il rencontre un inspecteur technique de Simca à qui il expose les problèmes mécaniques auxquels il est confronté. Voyant l'intérêt qu'il porte à ces Simca et son désir d'améliorer certains détails techniques, l'inspecteur décide de plaider sa cause auprès de la firme de Poissy. Reste à faire parler de lui. Il décide donc de battre le record du monde d'une voiture sur deux roues et c'est à Condé qu'il décide de réaliser son exploit.
Pour avoir le maximum de publicité, il convoque aussi les radios et Pathé Actualité pour immortaliser son exploit. Toutes ses prestations « d'équilibre » sont alors effectuées avec sa vieille Versaille Simca (moteur V8 Ford « Aquilon » de 2 351 cm3 à soupapes latérales qui développe 80 ch à 4 400 tr/min). Ce jour-là , le 9 avril, dans la rue du Champ-de-Foire, il effectue les 450 m de la descente, battant ce jour là son ancien record de 371 m 60.
Toute la presse s'empare de l'événement. Des responsables de la promotion de Simca sont enthousiastes et décident de se rendre à Condé. Le 3 mai, face aux grands pontes de la communication de la marque, Sunny renouvelle sa performance rue du Champ de Foire au volant d'une Ariane toute neuve, fournie par Simca.
Sunny, qui est un précurseur du spectacle automobile mais aussi un homme d'affaire, n'a pas oublié de convier aussi les responsables publicitaires des pneus Kleber-Colombe, du pétrolier Shell et de la marque d'autoradio Arel dont le slogan est alors martelé chaque jour « Avec Arel, la route est belle ».
Si les Condéens trouvent là une façon originale d'économiser les pneus, ils sont par contre peu nombreux à vouloir être passagers de Sunny !
Sunny a gagné son pari condéen : Simca lui fournira tous les trois mois six voitures neuves et un camion de pièces détachées en échange de quoi l'équipe Sunny devra faire la promotion de la marque en maltraitant des Ariane en public tout en démontrant leur robustesse. C'est le début de huit années d'événements publicitaires avec Simca, Kleber, Arel et Shell.





 
 

Un mois après Condé, le 14 juin 1959, Jean Sunny fait une descente spectaculaire des Champs-Elysées sur deux roues avec une Simca Ariane.

Le 6 février 1960, la millionième Aronde tombe des chaînes de montage de Poissy. En effet, pilotée par Jean Sunny, elle décolle d'un tremplin et crève symboliquement le mur du million tendu par les jeunes apprentis de chez Simca. En novembre 1962, il relie Paris-Chartres sur deux roues avec la toute nouvelle Simca 1000 totalisant ainsi 95 km. Puis Simca l'envoie au Brésil en 1964 où sur le circuit d'Interlagos, il bat un premier record de vitesse sur deux roues à 81 km/h, suivi d'un nouveau record en 1968 à 125 km/h au volant d'une Beaulieu. En 1965, pour l'émission « les coulisses de l'exploit », commentée par Michel Drucker, il descend les 11 km du col de la Faucille, dans le Jura, avec une Ariane sur deux roues.

C'est aussi vers cette époque qu'il met le pied à l'étrier à un jeune champion du moto-cross : Rémy Julienne qui débute sa carrière de cascadeur dans le film Fantômas en 1964. Par la suite, Julienne deviendra le cascadeur du cinéma et réglera les cascades pour les films : La Grande Vadrouille, Le Casse, Les Aventures de Rabbi Jacob, Taxi, L'As des as, Le Gendarme se marie, La Coccinelle à Monte-Carlo mais aussi dans plusieurs James Bond tels que Octopussy, Permis de tuer ou encore les Taxi de Besson.
 
 
 

Il invente le « Saut de la Mort » qui consiste à lancer une voiture à plus de 100 km/h sur un grand tremplin. La voiture s'enflamme et retombe 50 m plus loin sur un tapis d'épaves, accomplissant souvent des rebonds incroyables. Dans les année 70, trois équipes de cascadeurs tournent toute l'année sous l'enseigne Jean Sunny ! Le célèbre cascadeur et précurseur de bien des acrobaties automobiles périlleuses est mort, lundi 27 août 2007, des suites d'un cancer, au centre hospitalier de Gonesse,Val d'Oise.

Il existe un film sur cet exploit réalisé à Condé. Il est malheureusement onéreux et n'est visible que par des professionnels de l'audiovisuel et du cinéma (Pathé Actualité, « France : l'acrobatie et l'automobile », 1959, réf : 5919GJ00007/213190). Merci de contacter Cyprien Philippe la Médiathèque de Condé-sur-Noireau si vous possédez des photos et/ou documents à ce sujet.


dimanche 1 avril 2012

Le Dénombrement de la population.
Journal de Condé, dimanche 19 Février 1911.
Une famille condéenne.
A 20 heures 30, le 13 février 1911, la séance du conseil municipal, convoqué en session ordinaire pas le maire, Monsieur Guillouet, s'ouvre sur les fonds disponibles de l'exercice 1911.
En effet, les frais du recensement quinquennal de la population, obligatoire et qui doit se dérouler le 5 mars, est à la charge de la commune. Après un court débat, le conseil approuve l'ouverture d'un crédit de 1.000 francs. Cette somme permettra au maire de payer immédiatement les frais nécessaires (imprimés et salaires principalement) avant l'établissement d'un budget additionnel.
Comme le fixe le décret présidentiel, la commune doit déposer avant le 4 mars, et dans chaque foyer, des formulaires afin que les habitants les remplissent avant le 5 mars. Les agents recenseurs repassent dès le lundi 6 mars ramasser les formulaires et vérifier s'ils sont correctement rempli. Au besoin, l'agent rectifie ou le rempli pour les gens illettrés. Il vérifie si la profession est indiqué, le nom de la rue (ou du lieudit) correctement mentionné, ainsi que le numéro de la maison, le nombre de ménage vivant dans cette maison et le nombre d'individu dans le ménage, sachant que les domestiques à demeure sont comptabilisé dans la composition du ménage.
Le recenseur ne s'embarrasse pas du politiquement correct : Une femme marié qui ne travaille pas est « occupée au ménage », un handicapé mental est idiot, ou sénile, selon l'âge, un pauvre et sans emploi est indigent. Il fait preuve néanmoins de délicatesse pour certaine personne : Une personne aisé et âgé sera propriétaire, un ouvrier âgé qui vit de sa maigre retraite sera défini comme rentier. Le recensement de la ville est clos, comme l'atteste la signature du maire, le 1er avril.
On remarque, en parcourant le recensement de 1911, que les familles composées de plus de trois enfants sont monnaie courante à Condé. Mais, contrairement aux idées reçue, les familles nombreuses sont plutôt rares et on les trouve principalement dans le milieu ouvrier, à l'exemple des deux familles de journaliers de la rue Saint-Martin : Celle d'Émile Marie qui a 11 enfants (de 14 ans à 15 mois) et la famille Mesnier qui a 10 enfants.
Condé compte son maximum d'habitants en 1876 avec 7.350 habitants. Entre 1876 et 1911, alors qu'au niveau national on constate une croissance (5, 64%), la décroissance démographique de Condé se poursuit inexorablement, la ville ayant perdu plus de 23,76% de sa population depuis 1876, à l'image du département (-12,98 %).
Au recensement de 1911, on ne compte plus que 5.604 habitants alors que Condé en avait 6.663 en 1896, 6.591 en 1901 et 6.247 en 1906 . On dénombre 1.197 bâtiments d'habitations (1.297 en 1906), 1814 ménages (2.026 en 1906). On constate aussi une baisse des naissances, 90 enfants de moins d'un an , contre 100 au recensement de 1906. Les décès ont aussi augmenté puisqu'on compte 698 personnes de plus de 60 ans, contre 726 en 1906.
La ville et son industrie n'attirent plus et le manque de travail et la crise ont vidé la ville. Cette impression semble confirmée par la chute de l'immigration : Alors que l'on comptait 36 étrangers en 1872, le nombre tombe à 36 en 1901, 16 en 1906 et à 10 en 1911.
Tout malheur ayant du bon, cela permettra à la ville d'améliorer l'urbanisme puisqu'elle décide, cette année là, de détruire des habitations insalubres ou trop vétustes, comme ce sera le cas Place de l'Ancienne Halle qui se trouvera agrandie et embellie par la destruction de trois ou quatre maisons.



samedi 12 novembre 2011

Un de nos « as » s’évade d’Allemagne.


Le Caudron G 4 de Ciccoli et d'Angot écrasé au sol derrière les ligne ennemies
-Collection famille Ciccoli-


« -Septembre 1918- Une dépêche de Rotterdam nous apprend l'évasion
de M. Eugène Angot, sous-lieutenant aviateur, fils de M. Angot, qui
habite rue Saint-Martin, à Condé. »
Eugène Angot est né le 12 septembre 1888 rue Saint-Martin à Condé. Fils de Louis Angot, boulanger, et de Héloïse Halbout, il est mobilisé dès la début de la guerre et s'engage dans l'aviation où il acquière vite la réputation d'être un excellent observateur.
Eugène Angot fait preuve de courage et, rapidement son audace et son sang-froid lui valent des galons d'officier. Teddy, c'est le surnom qui lui sera donné, est titulaire, à la fin de la guerre de cinq citations à l'ordre de l'armée et nommé, à la suite d'un splendide exploit, chevalier de la Légion d'Honneur.
Il est affecté à l'escadrille 11, créée le 10 juin 1913 sur le terrain de la Brayette, près de Douai, commandée par le lieutenant Jacques Pégat et équipée d'avions Caudron G 2, puis G 4. Angot rejoint l'unité à Montmédy, dans la Meuse où elle est mise à disposition du 2ème Corps d'armée. Angot effectue des missions de réglages d'artillerie et de liaisons avec T.S.F pour renseigner le commandement sur les avancées allemandes. Angot effectue de nombreuse mission avec le Capitaine Joseph Vuillemin, pionnier de l'aviation de bombardement et futur chef d'état-major de l'Armée de l'Air en 1939-40.
La première citation lui est donné suite à son exploit du 28 novembre 1915 alors qu'il est observateur à l'escadrille C 11. Une panne de moteur à l'intérieur des lignes allemandes, l'oblige à survoler les ligne ennemies. Avec sang-froid, son avion est criblé de balles, il profite de sa faible altitude au passage des tranchées allemandes pour rapporter des renseignements très précis.
Trois mois plus tard, le 24 février 1916, toujours à l'intérieur des lignes ennemies, le pilote Marcel Coache et lui livrent un combat à deux appareils allemands, forçant l'un d'eux à atterrir brusquement et l'autre à abandonner le combat (victoire non homologué mais qui lui vaut sa deuxième citation). Le 21 mars 1916, un éclat d'obus endommage gravement un moteur de son avion. Il termine néanmoins sa reconnaissance alors que le pilote ramène l'appareil dans les lignes française.
Mais la chance le quitte au mois de juillet 1916 comme le souligne sa cinquième citation :
« Eugène Angot, lieutenant observateur excellent officier qui a rendu les plus grands services par ses reconnaissances hardies et ses réglages de tir. Le 3 juillet 1916, au cours d'une reconnaissance, a été attaqué par plusieurs avions ennemis et a disparu à la suite d'un combat.»

C'est à bord d'un Caudron G4 que le pilote François Ciccoli et Eugène Angot, observateur, sont abattus lors de leur mission de reconnaissance :
«J'ai été fait prisonnier à l'offensive de la Somme, le 3 juillet 1916. J'ai eu à lutter, ce soir-là, contre trois avions allemands.
Je me suis débarrassé de l'un d'entre eux; j'ai été blessé par les autres, mon pilote aussi et nous nous sommes évanouis.
L'appareil est resté de la hauteur de 2.200 mètres à 200 sans direction aucune.
Comment nous avons pu nous sauver ? C'est ce que j'ignore encore. Je sais seulement qu'à 200 mètres du sol mon pilote a repris ses sens, et moi, en touchant terre, mais dans les lignes ennemies.»
Le lieutenant Angot est interné à Galgenberg, camp situé à la périphérie de Würzburg, sur le Mainz. Il y a, à cette date, environ 1.500 prisonniers. Il est soigné à l'hôpital de la ville avant de rejoindre l'infirmerie du camp.
Angot ne peut supporter, ni la captivité, ni l'inaction. Dès lors, il n'eut plus qu'un but s'évader. Quatre fois il tente vainement de se sauver. A l'une de ces tentatives, après avoir veillé trente-six nuits pour tromper la surveillance des sentinelles, il traverse deux cent quatre-vingt quinze kilomètres de territoire ennemi à pied. Malheureusement, il est repris à quelque kilomètres de la frontière.
La cinquième tentative sera la bonne :
« -C'est dans la nuit du 7 au 8 septembre que j'ai mis le pied sur le territoire hollandais.
Libre ! Quel bonheur !
Ma joie s'est doublée du fait qu'à l'instant même de ma libération je me suis rencontré avec un autre évadé, le sous-lieutenant aviateur Contini.
Notre émotion heureuse à tous deux, vous l'imaginez !
Me voici enfin à Paris, prêt à recommencer à me battre, ajoute l'intrépide officier avec une flamme dans le regard.
-Un mot encore, mon lieutenant. Votre impression sur l'Allemagne ?
Le moral du soldat y est bien bas ; nos victoires produisent leur effet. »
« Cette fois, le sort l'a favorisé ; le voilà sauvé du joug prussien, et dans quelques jours, il sera auprès des siens. Bravo au glorieux évadé, et félicitations à sa digne famille » écrit fièrement « le Journal de Condé ».
Eugène Angot, qui devint ingénieur des arts et manufactures, est décédé le 29 novembre 1978 à Paris à l'âge de 90 ans.

Sources : Le Journal de Condé du 15 septembre 1918 ; Ouest-Eclair du 15 septembre 1918 ; Le Petit Parisien du 1er octobre 1918, article et interview de René Granchamp ; Archives de l'aéronautique Militaire de la première guerre mondiale, Fonds du lieutenant Eugène Angot « Teddy ». Lieutenant observateur à l’escadrille C 11, mitrailleur de Joseph Vuillemin. Z 37214/2 Papiers de carrière : ordres généraux des citations du lieutenant E. Angot (1915-1918).